Tout petit déjà ...
- Christian Manivel
- 19 avr. 2022
- 5 min de lecture
On me pose souvent la question : mais comment en es-tu arrivé à la création de bijoux ? Après une introspection intense ... , j'ai fini par y répondre dans ce post.

J'ai commencé à lire très jeune, et dès que j'ai su lire, je crois avoir avalé (je ne dis pas nécessairement compris) à peu près tout ce qui me tombait sous la main. Plus tard, vers l'âge de 7 ou 8 ans je me souviens avoir passé beaucoup de temps le nez dans une encyclopédie d'architecture (quel poids ces gros bouquins!) et j'ai ainsi fréquenté des oeuvres, des maisons, des édifices créés par des architectes de renom, et j'avoue avoir gardé un faible et une trace indélébile dans un coin de mon cerveau pour Le Corbusier.
En fait, la trace indélébile qui s'est inscrite dans ma tête est la chose suivante : un dessin est une chose extraordinaire qui permet de représenter une forme puis une réalité matérielle qui n'existe pas encore mais qui est suffisant (à quelques formules "magiques" près) pour donner vie à un objet en dur que l'on peut toucher voire dans lequel on peut vivre. Vous l'avez compris : tout petit je voulais être ... architecte.
L'accès au langage mathématique quelques années plus tard a renforcé ce phénomène : il m'est ainsi devenu évident que ce magnifique langage pouvait en quelques symboles abstraits décrire ou représenter de manière incroyablement compacte (quelques lignes, une simple formule ou une équation suffisent souvent) une réalité du monde qui nous entoure ou des phénomènes complexes qui nous affectent.
Ainsi je me suis passionné pour les courbes planes et plus tard surfaciques qui sont engendrées par de toutes petites équations (l'équivalent de deux ou trois "mots" articulés dans ce langage mathématique) mais dont la beauté est à couper le souffle : des formes régulières et en même temps avec des variations très évolutives (j'allais dire chorégraphiques). Une merveille que l'on peut décliner à l'infini, dans plusieurs dimensions, il n'y a pas de bornes à ce type de représentation.
J'ai eu la chance à l'âge de 17 ans de pouvoir accéder aux ordinateurs de grands centres de recherche en informatique et ensuite à ceux de centres de calculs scientifiques et je m'en suis donné à coeur joie à l'époque pour dessiner toutes les courbes et formes que les mathématiques et mon imagination étaient capables d'engendrer. Je m'en régale encore.
La puissance de ce phénomène est extraordinaire : quelques mots d'un langage codé ou quelques traits au bout d'un crayon que l'on tient dans la main sont suffisants pour créer ce qui n'existe pas encore et qui, avec un peu de chance, va déclencher un sentiment d'harmonie et d'accès à la beauté chez celui qui l'observe.
Le propos de ce post n'est pas de décrire ce qui est advenu dans ma vie professionnelle (très) active, mais je pense que tout au long de cette vie dite professionnelle ce sentiment de pouvoir à travers un dessin, un plan, un bureau d'études puis un chantier voire une entreprise, accéder à la beauté ou tout simplement à une réalité qui n'existait pas encore, ce sentiment en effet ne m'a jamais quitté. Parfois pour arriver à la phase finale de cette création, à savoir l'objet réel qui peut être considéré comme un "grand oeuvre" (un porte-avions par exemple) il aura fallu mobiliser, outre des budgets conséquents, des milliers de bipèdes aux savoir-faires incroyablement variés.
Aujourd'hui, après quelques tours au compteur des ans, j'ai trouvé de nouveaux objets à dessiner et à créer. Ils ont comme avantage d'être immédiatement connectés à la beauté, et nécessitent peu d'acteurs pour leur donner vie : un seul bipède (et quelques outils) suffisent : ce sont les bijoux.
En ce domaine je suis autodidacte, même si les outils de cette création me sont très familiers (dessin 3D et fabrication assistée par ordinateur en particulier). Au cours de cet auto-apprentissage, j'ai pu éprouver le bonheur de découvrir l'art du sertissage qui consiste à assembler (je devrais dire marier) une pierre et sa monture par exemple.
J'y suis donc venu plutôt par la compréhension du dessin des pierres taillées (à facettes), précieuses ou non : leurs caractéristiques physiques et chimiques déterminent leur structure cristalline dont on doit tenir compte pour les tailler sans les fragiliser et la façon de choisir leur taille, les angles et formes des facettes détermine leurs caractéristiques optiques, par suite leur éclat, leur brillance ... et donc leur beauté. Alliance de géométrie, d'optique, matières très objectives, pour parvenir à une vérité très subjective de la beauté, voilà un challenge bien agréable.
Le dessin de la monture en soi n'est pas très complexe, mais la transformation d'une idée (de la personne qui doit porter ce bijou) d'une phrase ou d'un imaginaire est assez fascinant : du dialogue avec cette personne peut naitre un objet bien réel par l'entremise du dessin qui est proposé. C'est une phase de mélange de bouillons de cultures (souvent différentes) très valorisante.
Pour la fabrication de la monture ou du support j'utilise le procédé qui remonte à des temps très anciens, à savoir la fonderie à la cire perdue. De manière très synthétique, un premier objet est fabriqué (anciennement en cire) qui permet de fabriquer un moule (anciennement en plâtre) dans lequel au final on vient couler un métal de type laiton, bronze, argent, or ... et après avoir cassé le moule on en extrait l'objet final que l'on polit, ou pas, sur lequel on vient effectuer un plaquage, ou pas ...
Ce travail de fonderie est en partie manuel et à ce stade je le confie à des hommes de l'art, dont le geste s'apparente à celui des alchimistes des temps anciens.
Le sertissage est pour moi l'art suprême car il est au coeur de la conception du bijou (j'aime les pierres et j'essaie de les mettre la plupart du temps au sein des bijoux que je dessine). En effet, il fait le lien entre la (ou les) pierre(s) choisie(s) et l'objet (monture ou support en général métallique) qui la porte et doit la mettre en valeur.
Concevoir un nouveau sertissage est fascinant, le summum étant à mes yeux que le sertissage ne se voie pas, un peu comme un livre si bien écrit qu'on ne peut imaginer qu'il a nécessité tant d'heures de travail, de lecture, de relectures, de réécriture et de corrections. Le sertissage est avant tout manuel, je veux dire effectué physiquement par une main de bipède, parfois prolongée par un outil mais dans ce cas l'outil a lui-même été fabriqué par cette main qui le tient et qui est adapté à la forme de cette main.
Dans le processus de création, penser le sertissage est la première chose, elle détermine tout le reste, parfois le type de pierre retenue et toujours elle détermine ou influence le dessin de la monture.
Parfois en fonction de l'idée initiale du bijou au stade imaginaire, il faut inventer un nouveau type de sertissage. Ce type d'invention quand on y parvient est un bonheur à lui seul.
Voilà, vous savez tout ... ce qui peut être dit dans un post de cette nature. Merci d'avoir poursuivi cette lecture jusqu'au bout. A bientôt sur un autre sujet.
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